Stewart Brand

portrait de stewart brand

Bonjour je suis Stewart Brand, je suis né le 14 décembre 1938 à Rockford et je n’ai rien inventé. Je ne suis pas le personnage le plus connu de la glorieuse constellation des figures de la Silicon Valley. Je ne suis à l’origine d’aucune innovation technologique. Je n’ai pas écrit de ma main le texte fondateur. Je n’ai pas fait fortune en lançant une de ces florissantes success stories de la nouvelle économie. Je n’ai donc rien inventé de l’internet et pourtant ! Pourtant j’ai facilité la circulation entre les mondes sociaux qui ont permis à internet de s’inventer. C’est pour quoi je suis là aujourd'hui pour vous racontez mon histoire. Si vous voulez en savoir plus tout commence par les mouvements de révoltes des hippies...

Lors de la création d’internet, les pionniers avaient des objectifs et des valeurs bien précises qu’ils voulaient transmettre. La liberté d’expression constitue la principale pour ne pas dire la seule, revendication des militants d’Internet. Ce n’est que le droit absolu à l’expression sans limite des internautes que procèdent toutes les autres revendications, notamment celle de construire par le bas des collectifs auto-organisés mettant en partage leurs productions. Ce trait apparait comme une constante dans les combats qu’ont engagés les pionniers pour définir la spécificité du monde digital contre ceux qui souhaitaient lui imposer une régulation restrictive.
C’est toujours la liberté d’expression qui a été le principal carburant. Favoriser l’anonymat et le droit de ne pas être toujours soi-même et refuser la censure et tout contrôle sur l’expression, encourager le partage sous toutes ses formes.
En ce qui concerne la question d’égalité, elle ne se pose pas, initialement, entre les individus mais entre les savoirs qui permettent à chacun de se différencier. C’est pourquoi il est si important de libérer les biens informationnels afin qu’ils soient accessibles à tous.
Aujourd’hui internet est plus que présent dans notre vie de tous les jours. Il permet de s’informer, de communiquer, d’étudier ou encore de se divertir. Aux fil des années c’est devenu un outil essentiel dans beaucoup de domaines. Il ne fait guère de doute que même soumis à des forces marchandes de plus en plus puissantes et aux velléités de contrôle et de régulation des États, les débats qui traversent aujourd'hui internet se nourrissent toujours d’arguments puisés dans le fonds de valeurs léguées par les pionniers.

Internet des pionniers à nos jours

internet

WIRED

C’est presque sans y penser que la fondation de Wired en 1993, fit apparaître d’étrange collusion idéologique. Kevin Kelly et moi avons amené la contre-culture à des investisseurs libertariens et conservateurs. Wired est l’organe officiel de cette conversion d’un segment de la contre-culture californienne aux slogans libre-échangistes du capitalisme digital. À partir du réseau d’auteurs, de journalistes, de visionnaires et de prophètes constitués au sein du WELL, Wired va devenir le journal de la nouvelle Economie et un formidable tremplin pour promouvoir la nouvelle élite au sein de la communauté virtuelle.

En 1987, Peter Schwartz de Shell, Jay Ogilvy du Standford Research Institute et moi lançons le Global Business Network. Le GBN est une sorte de cheval de Troie facilitant l’intégration de la « critique artiste » dans le nouvel esprit du capitalisme. Les prestations du GBN consistent en quelque séminaire « worldiew » réunissant penseurs remarquables, prospectivistes enthousiastes, chercheurs de sciences exactes, etc, d’établir de nouvelles règles. Il est destiné à convertir les dirigeants d’entreprises au management post-fordiste en leur parlant de langage de l’autopoïèse et des réseaux polycentriques.

Global Business Network

global business network

WELL

well

En 1985 en collaboration avec Larry Brillant (ancien membre de la communauté de Hog Farm, passé à l’informatique) nous fondons la première « communauté virtuelle », The Whole Earth ‘Lectronik (WELL). Profitant au milieu des années 80 et de l’apparition des premières connexions internet et après avoir envisagé d’envoyer les communautés hippies coloniser l’espace, nous avons décidé de créer un nouvel espace pour les communautés. Le WELL est un espace de discussion numérique autour du contenu du Whole Earth Catalog, avec pour animateur des personnes issues de Farm, communauté de nudistes de l’esprit.
Il offre un nouveau territoire aux espérances déçues des communautés hippies. Les communautés hippies se sont très vite essoufflées par la désertion, la dispute ou la dérive sectaire. Le WELL devient un refuge. Les hippies ont projeté leur rêve d’exil et de refondation dans les échanges numériques, et pour cela, ils avaient besoin de couper les ponts avec un « réel » doublement décevant en raison de la persistance de l’aliénation patriarcale et capitaliste, mais aussi de l’échec de la tentative de s’en émanciper en établissant dans ses marges des communautés contre-culturelles. Internet était un « ailleurs », le nouvel asile d’un projet d’émancipation avorté.
Le monde virtuel apporte au projet d’émancipation des points positifs, tel que la possibilité d’effacer le statut des personnes, leur position dans la société et de toute trace de leurs inégalités de conditions. Les pionniers d’internet ont donc délibérément privilégié les accomplissements des individus hippies sur leur volonté d’effacer leurs positions sociales pour plus d’égalité. L’anonymat de l’identité virtuelle était pensé comme un moyen de remettre à zéro le compteur de l’égalité des places.
Grâce aux réseau d’auteurs, de journalistes, de visionnaires et de prophètes constitués au sein du WELL, un nouveau journal va apparaître, Wired… Mais avant de vous parler de ce nouveau journal, un évènement se passe juste avant, la création du Global Business Network…

En 1968 je travaillais à Menlo Park, au Portola Institute, c’est là que j'ai lancé la première édition du Whole Earth Catalog. Ce catalogue peut être considéré comme un objet-frontière entre deux mondes différents, l’univers des laboratoires de recherche et celui des communautés hippies. On y retrouve un incroyable patchwork sur tous les sujets de préoccupation des communautés et beaucoup de sciences, de technologies et de théories. C’est avant tout un lieu collectif où se fabrique cette vision mêlant les prophéties cybernétiques aux rêveries hippies.

Whole Earth Catalog

whole Earth Catalog

Les mouvements hippies

hippie

Dans les années 60, les premiers mouvements de révoltes apparaissent, les étudiants se sont levés contre leurs parents, contre l’entreprise bureaucratique et pyramidale, contre la politique de la peur instaurée par la guerre froide. Ils vont se mobiliser contre Nixon, les mandarins, la guerre au Vietnam, la ségrégation raciale et sexuelle.
C’est le 15 octobre 1965 lors d’une manifestation anti-guerre que j’ai été embarqué pas Ken Kesey dans la création du Trips Festival. Mélange de fêtes sous LSD, de musique de Greateful Dead et de technologies stroboscopiques. Ce festival avait pour but de mettre une « tablette de LSD dans le ventre de l’Amérique » pour « faire à la Nation, ce que le LSD leur a fait à titre individuel ».
Cet événement a signé le début de l’exode d’une partie de la jeunesse américaine vers la vie communautaire sans combat politique central mais plutôt pour transformer la politique en une expérience collective à plus petite échelle. C’est le début du mouvement hippie. Dans les années soixante-dix, 750 000 américains sont partis vivre dans des communautés, exilés dans des forêts californiennes ou les déserts du Nouveau-Mexique. Cette bande de la contre-culture américaine peut être qualifiée de Nouveau Communalisme.
Les hippies plaçaient l’individu au cœur de leur projet d’émancipation, c’est en se réinventant soi-même que les individus parviendront à construire des liens plus authentiques avec les autres et avec le cosmos.
Ainsi pour mettre en œuvre le rêve d’émancipation et d’exil des hippies j’ai réalisé le Whole Earth Catalog pour pouvoir faire rencontrer l’univers des laboratoires de recherche et celui des communautés hippies.